La Vélocette Thruxton Veeline 1969 de Ghislain B (gigi)

Il s'agit de la n° 1002. la série s'est arrêtée au n° 1208....

la Véloce : en 96 , au départ du Tour de France qu'elle a
terminé sans aucun soucis

 

Qui m'a emmené la première fois au 278 Rue Saint Maurice, à l'atelier " Lavallard Motos ", je l'ai oublié, mais , ce qui est sûr, c'est que sans ce vieux monsieur qui allait devenir pour moi (et pour toute la bande de l'époque) Monsieur Lavallard, aucun d'entre nous n'aurait pu rouler en anglaise (à crédit, et sans frais...).


Peu importe, mais elle était là, je m'en souviens. endormie au tout fond de l'atelier, sous une fine couche de poussière qui éteignait ses vernis, nichée derrière deux ou trois Triumph T 110 et BSA Golden Flash . Je l'avais regardée, bien sur. Monsieur Lavallard avait créé autour d'elle un mythe basé sur une bestialité supposée... car, en la démarrant, un retour inattendu autant que brutal l'avait catapulté à l'autre bout de l'atelier...


Ce ne fut qu'ensuite, une fois introduit, que je l'entendis dire à tous ceux qui entraient : " celle là, celui qui la démarre du premier coup, je la lui donne ". C'était une Véloce, une Thruxton Veeline, et elle n'était pas bien vieille, mais semblait avoir toujours dormi là, le long des étagères qui tapissaient le fond de l'atelier.


Elle y est restée un bon moment, jusqu'à ce que son propriétaire, qui l'avait achetée neuve et était allé la chercher à Paris , escorté de Monsieur Lavallard, au fin fond du quinzième arrondissement, chez Leconte, à l'enseigne de Moto-Rallye, décide de la reprendre afin de la vendre lui même. J 'ai d'ailleurs retrouvé l'annonce par hasard, en rêvant sur les pages d'un vieux Moto-Revue.


Mais les temps étaient durs pour les monos anglais, et s'il était facile de vendre une Bonnie, une Thruxton était plus difficile à négocier. J'étais en Première, à ce moment et roulais sur un glorieux mono Honda CB 125 S caféracérisé... Finalement, je crois que c'est un peu à cause de moi que mon ami Frédéric (alias le Grand Fred) décida de l'acquérir. S'ensuivit une liste calamiteuse de pannes et de casses... Ce n'est peut-être pas une Véloce qu'il convient d'acheter pour aller chaque jour au lycée, et quand l'expérience motocycliste se limite à la 125 Tarbo à bout de souffle...


Nous sommes allés la chercher à Villers-Bretonneux, gros bourg proche d'Amiens, un matin de décembre et je n'ai pas oublié la façon dont Fred me doubla, alors qu'à fond de cinquième je m' efforçais de prendre les derniers tours envisageables... arrivé à ma hauteur, il avait monté un rapport et la belle s'était catapultée en avant dans un chuff-chuff-chuff éminemment relax.

 

en balade avec ma fiancée  

 

La seconde chose que je n'ai pas oubliée de ce jour, c'est la Véloce par terre, le réservoir enfoncé par le bracelet, et une dame vitupérante... constat antidaté, Fred n'étant pas encore assuré... et voilà pourquoi votre Véloce est rouge. Pour refaire le réservoir, Fred avait opté pour le syntofer (qui sévissait beaucoup en ces temps anciens) et le pistolet Sprido (à poire, permettant d'obtenir des peaux d'orange d'un grand réalisme). Pour satisfaire ses parents il avait également monté des clignotants Saker, en perçant le beau support de feu arrière; je ne les ai jamais vus fonctionner... mais j'anticipe.
Une première sortie pour le trial de Cassel, début janvier, fut un peu difficile. Nous attendions Fred, qui arrivait pas , chez l' oncle de l'un d'entre nous, à Octezeele . Fred était en carafe sur la grand-place de Cassel, toute l'huile moteur se vidangeant par la transmission primaire... en retournant chez l'oncle, ébloui par une voiture j'étais allé au fossé, d'où j'étais ressorti humide et boueux...


Il avait gelé fort cette nuit là, et c'est à travers une campagne givrée que nous avons rejoint le parcours du trial, sur une route couverte de verglas, où nous nous payâmes une gamelle collective de belle facture... pas de dégâts mais tous à quatre pattes sur la route, sauf Hughes, dont nous entendions la pétoire vrombir dans les roseaux bordant la route;il avait réussi à nous éviter au prix d'un détour par les bas-côtés et était resté prisonnier de la haie.
Ce problème de lubrification devait se répéter de nombreuse fois, et, suite à d'autres problèmes moteur, Fred emmena la bête en Angleterre, chez Stevens, pour une bonne révision.


Je me souviens ensuite, mais c'était bien plus tard, la même année cependant, puisque la Véloce était encore noire, juste avant les vacances, que nous avions dormi chez les parents de Fred, qui habitaient Montdidier . Le lendemain matin, la belle s'était laissée aller à la paresse et refusait de démarrer, nous avions monté une bougie chaude, une longue séance de poussette, nous fit oublier tout ce qui précédait... il faisait très beau, chaud déjà et nous nous étions arrêtés chez Michel Kunnert, à Domart sur la Luce, à l'époque c'était un café tabac restaurant agent officiel Kawasaki et Ossa... Un p'tit café sur le pouce, le patron et mécano-coureur qui nous regarde partir, Fred qui aligne les quatre rapports sans barguigner dans la longue côte en direction d'Amiens, la Véloce prend tous ses tours sur la quatre, une grande descente à fonds les ballons, puis, plus rien, Fred qui débraie, silence, juste le bruit de la chaîne jusqu'à l'arrêt complet. Nous descendons et Fred regarde la compression, surprise, elle n'est plus là... la bougie de chauffe était restée en place et le piston n'avait que moyennement apprécié sa compagnie...

 

Retour piteux à Domart, Michel vient nous prendre avec sa remorque, les cours du matin passent à la trappe, on dépote et on ouvre le bouilleur... Michel, qui était particulièrement bon soudeur va réparer le piston (ce piston, je l'ai toujours, sur une étagère dans ma bibliothèque!);On rempote tout dans la foulée et nous arriverons au lycée à quatorze heures...
Fred mettra à profit les vacances de cette année là pour repeindre la belle en rouge pompier au moyen de son si sophistiqué vaporisateur.
Je garde peu de souvenirs de l'année suivante. Il me semble avoir peu vu la Véloce cette année là, mais il est vrai que j'avais d'autres chats à fouetter, en l'occurrence une très élégante mais rétive BSA B 25 Starfire, qui me permit de perfectionner rapidement mon anglais technique et ma connaissance du métro londonien.

 

le bricoleur fou

 

 Venons en au Point d'Orgue de cette première période, une sortie peu avant le bac, en juin 74 donc, sortie qui nous emmena à une concentration organisée par le Moto-club du Havre. Je n'avais déjà plus la BSA, cassée, et pas encore racheté l' inénarrable Bonneville d'Arnaud, Fred me proposa donc de m'emmener. Il faisait grand beau et nous partîmes joyeux. Bien arrivés au Havre, dans une concentration comme les autres, où le grand Fred fit une démonstration de la Véloce en tube autour du campement. Tout allait bien, il faisait beau et chaud et c'était l'été. Le lendemain, nous sommes repartis en fin de matinée, et tout roulait, jusqu'à une grande côte, Cocriauville je crois... abordée en quatrième, puis troisième, seconde , première... il se passait quelque chose, on n'était pas dans les Alpes... arrêt total à cinquante mètres du sommet, et , à nouveau, toute l'huile qui coule le long de la soie de vilebrequin, coté transmission primaire... un coup de kick, pour voir, le moteur est bloqué et la Véloce sera rapatriée à Amiens et mise en vente, à nouveau chez Lavallard-Motos. Elle est maintenant rouge , granuleuse, et cassée.
Elle y restera pas loin de deux ans, plus ou moins abritée sous l'auvent de l'atelier avant que François ne la rachète. Je ne m'y intéresserai guère pendant ce temps, occupé que j'étais par une Bonneville boiteuse et une année de vacances allemandes gracieusement offertes par la Nation.

François la démontera et la stockera dans une armoire, à Amiens d'abord, puis, après qu'il ait acheté une fermette à Gorges, il l' emmènera là-bas et achètera tranquillement les pièces pour la remonter, au fil de voyages plus ou moins mouvementés en Angleterre (je me souviens qu'il s'est endormi sur l'autoroute M1, en montant vers Londres, bercé par le ronronnement d'une 125 M Z  d'emprunt, et qu'il s'est réveillé à l' hôpital, le bras plâtré.
Et François a quitté Amiens, emmené des voitures en Afrique, convoyé des voiliers en Méditerranée, trouvé du boulot à Majorque... il passait plus ou moins régulièrement à la maison, toujours sans prévenir, souriant et il nous racontait tout cela, la soirée se terminant invariablement par " et la Véloce , t'en fais rien, vends la moi ". C'était devenu au fil du temps un vrai rituel.

  

départ en vacances en moto moderne (BSA B 50 SS)

 

Un soir, François est arrivé, et en entrant, m'a dit : " La Véloce , ça t'intéresse toujours ? "Il cherchait des liquidités pour créer un commerce d'importation d' huîtres de Bretagne aux Baléares...?
Quand il est revenu, quelques semaines plus tard, nous sommes allés vider l'armoire où elle dormait depuis dix ans et nous l'avons ramenée à Amiens. C'était au printemps de 1985. François avait bien commencé le travail et le cadre et ses accessoires avaient été laqués à la peinture Epoxy, et de nombreuses pièces neuves, tant pour le moteur que pour la partie cycle attendaient le remontage. Elles ne sortaient malheureusement pas toutes de Hall Green...


Le moteur, comme il avait souvent fait parler de lui, me faisait un peu peur, surtout coté calage de latéral du vilebrequin et graissage. J'ai donc fini le désassemblage en extrayant la pompe à huile, et, en quelques minutes, j'ai compris d'où venaient tous les problèmes de graissage: à l'usine, lors de la fabrication, la pose du bouchonnage après perçage des passages d'huile dans les carters moteur avait été mal faite et, de temps en temps, la pompe de retour aspirait de l'air et désamorçait. Chez Stevens, ils avaient compris le problème, mais, plutôt que de sortir le moteur, démonter la pompe, refaire le bouchonnage et renquiller le tout, ils avaient simplement étamé pour refaire l'étanchéité . Cela avait fonctionné un moment, jusqu'à ce qu'une goutte d'étain, non solidaire de l'étamage décide d'aller visiter la pompe, se coince entre deux dents, bloque la pompe et casse le pignon d' entraînement, heureusement en bronze, ce qui avait évité d'autres dégâts.


Il y avait aussi ce filetage de manchon de culasse foiré (celui coté magnéto bien sur)...une réparation ratée, avec un vilain apport de métal plein de cratères, où il était impossible refaire un filetage propre et solide... La solution fut de poser un insert , bloqué par un goupillage conique, ( merci Dominique). Le carter extérieur de boite fêlé au niveau du logement de roulement d'arbre primaire me vint d'un stock ami (merci Toto). Récapitulons :vilo, Fairly good, comme disent nos amis d'Outre-manche, carters réparés, pompe à huile neuve, pignon d' entraînement neuf, cylindre et piston neufs, du stock de François, distribution impeccable... on secoue le tout et tout s' emboîte nickel, jeu ok au vilo, pompe à huile qui se met en place sans problème, piston cylindre... on s' arrête là et on remonte la boite : un vrai bonheur, tout glisse et prend sa place, il n'y a que la sélection qui est bien dure : re-démontage et observation sourcilleuse : c'est la bague bronze d'axe de sélection qui nécessite un poil de retrait : un p'tit coup de presse et tout va mieux, un vrai beurre.


Bon pour la boite, mais puzzle chinois pour retrouver, identifier et remettre à leur place les fixations moteur, mais en montant, démontant (sans énervement???) et notant au fur et à mesure, ça finit par s'arranger...
Arrivons maintenant au morceau de choix : l'embrayage; ce fut difficile et ne comptez pas sur moi pour vous donner LE truc qui permet de refaire l'embrayage nickel en moins de quatre minutes sur un coin de table de cuisine, (le premier montage se fit sous assistance téléphonique directe , merci Denis) mais, avec deux bouts de chambre à air... pour en savoir plus , il faudra m'acheter...

 

Il y a maintenant un bas moteur, une boite et une transmission primaire. Pour la pose de la culasse, pas de lézard : guides et soupapes neufs, sièges délicatement rectifiés, ça va faire... Et ça ne fait pas : les goujons de culasse s' allongent comme des chewing-gums, près d'un centimètre d' allongement sous un couple de 1kg/m, jamais vu ça... c'est Vincent Brossy qui me sortira d'affaire en retrouvant quatre vieux goujons longuement vieillis en cave...
peinture , freins , fourche, roues, tout s'enchaîne et la Véloce fera ses premiers tours de roues en 1986 et a depuis parcouru plus de soixante mille kilomètres sans problèmes majeurs et la moteur n'a été ressorti qu'en 2000, suite à la casse du manchonnage réparé précédemment, Bruno (encore merci) a alors ressoudé et posé un hélicoïl et réparé le carter gauche qui présentait une longue amorce de fissure... Mais vilo, piston , cylindre et autres pièces mobiles n'ont pas bougé depuis 1986. Ah, quand même, on est intervenus sur la boite , pour les bagues bronze un peu fatiguées, et une butée d'embrayage renforcée a remplacé le montage d'origine un peu faiblard.

 

A part cela, on déplore la mort au champ d'honneur de dix neuf dynamos (non, c'était pour rire, on dira pudiquement , " un certain nombre de dynamos ") remplacées depuis ( avantageusement ) par un Alton ( merci aux Bretons ) .
François, s'il a vu sa Véloce sur ses roues et prête à prendre la route, n'a à mon grand regret , pas pu l'essayer avant sa disparition accidentelle. Mais cette moto, sur laquelle il n'a jamais roulé (et c'est bien la seule, étant donné le nombre d'engins extravagants qui ont marqué sa carrière motocycliste!) est pour moi sa machine, et quelle machine!


Ghislain B 16 juin 06

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